A Moscou, dans le quai Bolotnaja, on peut voir un monument étrange, dont composent 15 figures surréalistes et en même temps très réalistes. C’est un mémorial dédié aux enfants qui sont les victimes de vices des adultes.
L’auteur de ce monument le sculpteur Michail Chemiakine accuse des adultes de 13 vices: la drogue, la prostitution, le vol, l’alcoolisme, l’ignorance, la pseudo-scienсe, la violence, le sadisme, le déni de mémoire, l’exploitation, le misère, la guerre.
Dans le centre se trouve l’indifférence – une figure avec deux paires de bras et avec le visage étonnamment calme. Elle s’est bouchée les oreilles, elle a fermé ses yeux, elle a croisé ses bras – c’est une image d’inaction absolue et de non-intervention absolu. Etre indifférent c’est peut-être le plus lourd crime d’adultes contre les enfants.
Les enfants – ils sont aussi là dans le mémorial: il y a deux petites figures dorées devant le sombre demi-cercle de chimères. Ce sont une fillette et un garçon avec des bandeaux sur les yeux. Il semble, que les enfants jouent et ne comprennent pas des menaces.
La presse se donne la liberté de tout divulguer: les secrets d’état touchant à la sécurité des pays autant que des intrusions sans vergogne dans l’intimité de personnes connues, en vertu du slogan : « tout le monde a le droit de tout savoir ». Mais c’est un slogan faux, fruit d’une époque fausse.
Bien au dessus de ce droit il y en a un autre perdu aujourd’hui…
Le droit qu’a l’homme de ne pas savoir, de pas encombrer son âme créée par Dieu avec des ragots, des bavardages, des futilités.
Les gens qui travaillent vraiment et dont la vie est bien remplie n’ont aucun besoin de ce flot pléthorique d’informations abrutissantes. La presse est le lieu privilégié où se développe cette hâte et cette superficialité qui est la maladie mentale du 21eme siècle.
Soljenitsyne – discours de Harvard, 1978
“On asservit les peuples plus facilement avec la pornographie qu’avec des miradors » – Soljenitsyne
“L’entente a jailli de tes épaules” – René Char
“La première fois qu’on défend sa cause par les armes on vit la lutte si complètement qu’on n’est plus soi-même qu’un projectile.”
– Louise Michel
Christopher Lasch – extraits de La Culture du Narcissisme:
p40 – “Dans une société qui exige que l’on se soumette à certaines règles dans les rapports sociaux, mais qui se refuse d’ancrer ces règles dans un code de conduite morale, l’individu doit lutter pour maintenir son équilibre psychique: cela favorise une forme de concentration sur soi qui ressemble peu au narcissisme primaire du moi impérial.”
“Assailli par l’anxiété, la dépression, un mécontentement vague et un sentiment de vide intérieur, “l’homme psychologique” du XXe siècle ne cherche vraiment ni son propre dévloppement ni une transcendance spirituelle, mais la paix de l’esprit, dans des conditions de plus en plus défavorables.”
p58 – “Toujours selon Senett, les rapports établis de nos jours en public, conçus comme une forme de révélation de soi, sont devenus terriblement sérieux. La conversation rend un caractère de confession. La conscience de classe s’affaiblit; les gens perçoivent leur position dans la société comme reflétant leurs propres aptitudes et ils se rendent personnellement responsables des injustices qui leur sont infligées. La politique dégénère ainsi en une lutte, non pour le changement de la société, mais pour la réalisation de soi.”
(…)
“L’homme politique du temps passé savait rendre plutôt que désirer (c’est la définition que donne Senett de la maturité psychologique).
p61 – “Dans son désir de rétablir une distinction entre vie publique et vie privée, Sennett ignore les manières dont elles s’interpénètrent toujours. La socialisation des jeunes reproduit la domination politique au niveau de l’expérience personnelle. De nos jours, cette invasion de la vie privée, par les forces de domination organisée, s’étend à tel point que l’espace personnel a presque cessé d’exister. Inversant cause et effet, Sennett rend l’invasion de la sphère publique par l’idéologie de l’intimité responsable du malaise contemporain. Pour lui, comme pour Marin et Schur, l’intérêt que l’on porte actuellement à la découverte de soi même, au développement du psychisme, et aux rapports personnels et intimes, représentent un repliement sur soi choquant, un romantisme débridé. En fait, le culte de l’intimité ne tire pas son origine d’une affirmation de la personnalité, mais de son effondrement.”
p64 – “Ils se privent ainsi des fondatins à partir desquelles il serait possible d’établir des rapports précis entre, d’une part, le type de la personnalité narcissique et, d’autre part, certains traits caractéristiques de la société contemporaine, comme la peur intense de vieillir et de mourir, une perception différente du temps, la fascination de la célébrité, la peur de la compétition, le déclin de l’esprit de jeu, la détérioration des relations entre hommes et femmes.”
p78 – (Sur le jeune cadre dynamique) “Lorsqu’il perd sa jeunesse, sa vigueur, et même l’excitation de la victoire, il devient déprimé, sans but, et met en question ses raisons de vivre. N’étant plus dynamisé par la lutte en équipe, ni capable de se vouer à quelque chose en quoi il puisse croire et qui le transcende, il se retrouve complètement seul. Compte tenu de la prédominance de ce modèle de carrière professionnelle, il n’est pas surprenant que la psychologie populaire revienne si souvent sur le thème de la “crise du milieu de la vie” et sur les manières de la surmonter.”
p82 – “Se développer” est devenu un euphémisme pour “survivre”.
p83 – “De fait, le narcissisme semble représenter la meilleure manière d’endurer les tensions et anxiétés de la vie moderne. Les conditions sociales qui prédominent tendent donc à faire surgir les traits narcissiques présents, à différents degrés, en chacun de nous. Ces conditions ont également transformé la famille qui, à son tour, modèle différemment la structure de base de la personnalité de l’enfant. Une société qui croit ne pas avoir d’avenir est peu portée à s’intéresser aux besoins de la génération montante; le sens omniprésent d’une discontinuité historique – plaie de notre société – atteint la famille avec un effet particulièrement dévastateur. Les parents modernes tentent de faire en sorte que leurs enfants se sentent aimés et voulus; mais cela ne cache guère une froideur sous-jacente, éloignement typique de ceux qui ont peu à transmettre à la génération suivante et qui ont décidé, de toute façon, de donner priorité à leur droit de s’accomplir eux-mêmes.”
p99 – Selon Eric Fromm, les Américains ne sont plus capables de sentiments spontanés, ni même de colère. L’un des “buts essentiels des méthodes d’éducation” est l’élimination des antagonismes et la formation d’une “amabilité commerciale”.
p101 – “On évalue maintenant le jeu selon des critères de réalisation qui ne s’appliquaient auparavant qu’au travail.” De même, le fait qu’on en vienne à mesurer la bonne ou mauvaise “exécution” de l’acte sexuel – le plaisir étant fonction de l’application de la “technique” appropriée – et la croyance largement répandue que ce plaisir ne peut être “atteint” que par l’étude, la pratique et des efforts coordonnés, ne témoignent-ils pas que le jeu a été contaminé par l’esprit de performance? Pourtant ceux qui déplorent cet état de choses ne voient encore que la surface du jeu, ici l’aspect superficiel des relations sexuelles. Sous ce souci d’accomplir une belle performance, on trouve une détermination plus profonde de manipuler les sentiments d’autrui à son propre avantage. La recherche d’un gain dans la compétition par la manipulation des émotions envahit aussi bien les relations personnelles que les relations de travail; c’est pour cette raison que la sociabilité peut maintenant fonctionner comme une extension du travail, par d’autres moyens. La vie personnelle qui n’est plus un refuge contre les frustrations et les chocs subis au travail, est devenue aussi anarchique, belliqueuse et éprouvante que la vie publique. Le cocktail réduit la sociabilité à un combat social. Certains experts écrivent des manuels tactiques sur l’art de vivre en société; ils conseillent aux mondains, qui cherchent à imposer leur image de marque, de se placer dans une position dominante dans la pièce, de s’entourer d’un groupe loyal de fidèles et d’éviter de tourner le dos au champ de bataille.”
p103 – “Mais cet hédonisme est une duperie; la poursuite du plaisir masque la lutte pour le pouvoir. Il n’est pas vrai que les Américains soient devenus plus sociables et coopératifs, (…) ils sont seulement devenus plus adroits dans l’exploitation des relations interpersonnelles à leur propre avantage. Des activités ostensiblement entreprises pour le seul plaisir, ont souvent pour but véritable de piéger autrui. Typiquement, les termes vulgaires évoquant les relations sexuelles peuvent également signifier vaincre, étriller ou abuser quelqu’un, imposer sa volonté par la ruse, par fraude ou par force. (…) Dans l’univers brutal des ghettos, dont le langage s’étend à présent à la société américaine dans son ensemble, la violence liée à l’accouplement sexuel est dirigée par les hommes, avec une intensité spéciale, contre la femme, et tout particulièrement contre leur mère. Le langage d’agression et d’injures ritualisée rappelle à ceux qui l’utilisent que l’exploitation est la règle générale et la sujétion le sort commun sous une forme ou sous une autre; il leur rappelle également que “l’individu n’est ni assez fort, ni assez adulte pour atteindre son but de façon légitime, et qu’il est plutôt comme un enfant assujetti aux autres, qui tolèrent ses manoeuvres infantiles”, comme le dit Lee Rainwater. C’est pourquoi les hommes, quel que soit leur âge, dépendent souvent des femmes, sur le plan tant matériel que psychique. (…) Tout ceci se fait jour dans le parler quotidien, en des termes qui lient la sexualité à l’agression, et l’agression sexuelle à des sentiments extrêmement ambivalents concernant la mère.”
(…)
Par certains aspects, la société bourgeoise américaine est devenue une pâle copie du ghetto noir, et l’appropriation de son langage peut paraitre une illustration de cette mutation. Il n’est pas nécessaire de minimiser la pauvreté des ghettos, ni les souffrances que les Blancs ont infligées aux Noirs, pour voir que les conditions de plus en plus dangereuses et imprévisibles dans lesquelles vit la classe moyenne ont créé des stratégies de survies semblables à celles des Noirs. De fait, l’attirance que les Blancs aliénés éprouvent pour la culture noire, semble montrer que celle-ci s’applique à une situation générale, dont la composant principale est la perte de confiance en l’avenir, qui se rencontre aujourd’hui dans tous les milieux. Les pauvres ont toujours été contraints de vivre dans le présent, mais les membres de la classe moyenne sont, eux aussi, affectés par un souci désespéré de survivre sur le plan personnel, souci parfois déguisé en hédonisme.”
” Until you are a parent you are the picture and when you are a parent you are the frame”
Tout à l’heure je pensais à Regis Boyer, le grand professeur de culture Scandinave et traducteur de toutes les Saga islandaises. Je voulais voir s’il donnait toujours ses conférences et j’ai découvert qu’il est décédé il y a quelques jours seulement, le 16 juin.
Je ne l’avais rencontré qu’une fois en 1997 ou 1998 à l’école Estienne mais son érudition, sa bonhommie et sa présence m’avaient beaucoup plues. On sentait chez lui une infinie curiosité, une chaleur et une autorité en même temps qui me parlaient et dont j’aimais me sentir entourée.
Quelle tristesse lorsque les grands érudits meurent. Où part toute leur connaissance? Et qui pour les remplacer?
“Nous savons que nous allons vers la mort et, face à cette occurrence inéluctable, nous n’avons qu’un instrument : le rire.”
– Umberto Eco
A propos des ancêtres: je voulais à la fois les honorer et les défier.