“Eh bien voilà : tant que j’ai pu, j’ai bu, j’ai mangé, j’ai fait l’amour, j’ai quitté la Pologne plate et grise pour votre Italie; j’ai étudié, j’ai appris, j’ai voyagé et j’ai vu. J’ai tenu les yeux bien ouverts, je n’ai pas perdu une miette; j’ai été zélé, je ne crois pas qu’on aurait pu faire plus ni mieux. Ca m’a réussi, j’ai accumulé beaucoup de bien, et ce bien n’a pas disparu, il est en moi, en lieu sûr : je ne le laisse pas moisir. Je l’ai conservé. Personne ne peut me l’enlever. Et puis je me suis retrouvé ici : je suis ici depuis vingt mois, et depuis vingt mois je tiens mes comptes. Ca cadre, j’ai une bonne marge d’actif devant moi. Pour déranger ma comptabilité il faudrait encore plusieurs mois de camp, ou plusieurs jours de torture. (…)
Donc, dans la regrettable éventualité où l’un de vous deux me survivrait, vous pourrez raconter que Léon Rappoport a eu sa part, qu’il n’a laissé ni dettes, ni créances, qu’il n’a pas pleuré et n’a pas demandé pitié.”
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